Telegram est devenu un champ de bataille numérique en Russie pour l'Ukraine (2024)

Depuis 84 jours, Kyrylo, 21 ans, jongle avec ses deux quotidiens. Etudiant ukrainien en Master à Sciences po Paris le jour et cyber-soldat la nuit. Depuis le début de la guerre qui oppose la Russie à son pays, le jeune homme aux traits juvéniles et au français impeccable a rejoint l’armée de combattants numériques coordonnée par Kiev. Son champ de bataille de prédilection ? La messagerie cryptée Telegram. Popularisé et utilisé par les autorités ukrainiennes lors de l’épidémie de Covid-19, le groupe « Ukraine NOW » créé sur ce réseau s’est imposé, dès le 24 février dernier, comme l’un des principaux canaux de communication du gouvernement.

Ce fil d’actualité qui dépasse le million d’abonnés et mélange initiatives d’entraide, nouvelles du front et communiqués officiels a depuis fait des petit*. « Le 29 février, nous avons lancé avec l’une de mes amies la chaîne Ukraine NOW French », explique Kyrylo. Dans le même temps, une version anglaise voit le jour. L’objectif est simple : diffuser à une plus large opinion publique la narration ukrainienne du conflit en cours. Le groupe, administré par l’étudiant, s’appuie sur un réseau de bénévoles pour traduire et publier en français des informations issues de sources et de médias ukrainiens. Mais l’audience plafonne – un peu moins de 7.600 abonnés - et « très vite, on s’est rendu compte que la propagande russe n’avait pas tant de prise que ça sur les internautes français », note Kyrylo.

Une chaîne russophone pour contrer la propagande

En lien avec l’équipe du ministre de la transformation digitale, le millénial Mykhailo Fedorov, sorte de général en chef de l’armée numérique ukrainienne, Kyrylo et son amie décident de lancer une version russophone d’Ukraine NOW. « En Russie, Telegram est l’une des rares sources d’information que le pouvoir n’a pas bloquée. L’idée, c’était d’attaquer la propagande russe sur son propre canal », lance le jeune administrateur de la chaîne. Selon les données communiquées le 16 avril dernier au New York Times par l’entreprise d’analyse de données Sensor Tower, l’application Telegram serait la plus téléchargée (4,4 millions de téléchargements) en Russie depuis le début de la guerre.

Exit le flop en VOSTFR, cette fois, la franchise russophone d’Ukraine NOW fonctionne et rassemble plus de 848.000 personnes. Pour Kyrylo et son amie, l’administration de la page est devenue un job à part entière. « On s’est réparti des plages horaires pour alimenter la chaîne. J’ai créé un format de vérification d’informations aussi. Je suis abonné à plusieurs médias russes et je recoupe certaines affirmations avec d’autres sources, des sources ukrainiennes ou internationales », développe l’étudiant spécialisé en marketing. Contrairement à la chaîne nationale qui s’adresse essentiellement aux Ukrainiens, la déclinaison russe publie des contenus susceptibles d’intéresser leurs voisins. Les conséquences de la frappe à l’origine du naufrage du navire russe le «Moskva» en mer noire ont par exemple fait l’objet de nombreux posts, la chaîne relayant massivement les témoignages de familles de marins sans nouvelle de leur proche.

Une discussion impossible

L’enjeu pour le gouvernement ukrainien est aussi stratégique que les manœuvres militaires sur le terrain, souligne la chercheuse franco ukrainienne, Valentyna Dymytrova. « Le pays ne dispose pas de chaîne d’information à rayonnement international comme France 24 ou Russia Today – même si celle-ci a été récemment suspendue dans les pays l’Union Européenne. Son relais d’information continu passe donc par les réseaux sociaux. Telegram étant massivement utilisé par les Russes, c’est un canal d’expression fondamental pour contrer la désinformation », développe la maîtresse de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’université Lyon 3.

Pour autant, difficile de mesurer l’impact réel du groupe, reconnaît Kyrylo. Ouverts au moment du lancement d’Ukraine NOW Russia, les commentaires ont rapidement été fermés par l’équipe. « Certains contenus faisaient l’objet de milliers de messages coordonnés par des robots (des bots) prorusses. La discussion devenait impossible. On a utilisé plusieurs outils techniques pour tenter de les filtrer mais ça ne suffisait pas », regrette l’étudiant.

Changement d’équipe

L’équipe dispose en outre de peu de données chiffrées sur le profil des abonnés qui suivent la chaîne. « On sait que 94 % de nos abonnés utilisent l’application depuis une interface en langue russe mais on n’a rien sur leur localisation géographique. Et quand bien même Telegram fournirait ce genre de données, on sait qu’une grande majorité de Russes utilise des VPN donc ça ne serait pas pertinent », poursuit-il.

Notre dossier complet sur le conflit

Signe de l’importance donnée à ce groupe par les autorités ukrainiennes, une équipe professionnelle rattachée au ministère de la transformation digitale a repris cette semaine les rênes de la chaîne. « Même si on est considéré comme des combattants sur le front informationnel, on fait ça de façon bénévole depuis plusieurs mois en parallèle de notre travail ou de nos études. Là, les personnes qui vont animer la chaîne seront vraiment spécialisées dans ce domaine », salue Kyrylo.

Ce jeudi, l’analyse d’un spécialiste russe des questions de défense qui a émis de sérieux doutes sur la victoire de l’armée de son pays sur la chaîne Russia 1 a été relayée aux centaines de milliers d’abonnés du groupe sur Telegram. En quelques heures à peine, le post avait déjà été vu par 49.000 personnes.

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